lundi 27 août 2007

LA NAISSANCE DU MONDE

   lundi 27 août 2007

               "Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
               La terre était comme un grand vide, l'obscurité couvrait l'océan primitif, et le souffle de Dieu agitait la surface de l'eau. Dieu dit alors : " Que la lumière paraisse" et la lumière parut. Dieu constata que la lumière était une bonne chose et il sépara la lumière de l'obscurité. Dieu nomma la lumière jour et l'obscurité nuit. Le soir vint, puis le matin ; ce fut la première journée.
               Dieu dit encore : " qu'il y ait une voûte, pour séparer les eaux en deux masses !" Et cela se réalisa. Dieu fit ainsi la voûte qui sépare les eaux d'en bas de celles d'en haut. Il nomma cette voûte ciel ... "

              _"Mais qu'est-ce que vous nous racontez là ? C'est la Bible !"

              _ " Exactement. Je suis content que tu l'aies reconnue. Il s'agit du récit de la Genèse, c'est à dire de la création du monde dans notre imaginaire chrétien. "

              _" Mais je croyais que tu devais nous dire des contes polynésiens ? "


               _" Justement. Lorsque les grands navigateurs européens, Cook, Wallis, Bougainville arrivèrent dans les îles de Polynésie, ils crurent avoir en face d'eux des sauvages ... Ils disaient des indiens. D'autant que des quantités d'histoires se mirent aussitôt à courir : " Les indiens sacrifiaient à des dieux étranges, dansaient devant des masques sculptés, égorgeaient des victimes humaines, organisaient même des agapes barbares au cours desquelles ils cuisaient et consommaient de la chair humaine. " On l'avait vu. On l'avait entendu dire. On le savait ...

              _ Qu'est-ce que tout cela peut bien avoir à faire avec la Bible et pourquoi nous parlais-tu de la Genèse ?

            _ Écoute bien ce que je vais te raconter maintenant. Il ne s'agit plus d'un chapitre de la Bible ...

                                  *
"Il était.

Taaroa était son nom.

Il se tenait dans le vide : Point de terre, point de ciel, point d'homme.

Taaroa appelle aux quatre coins de l'Univers.

Rien ne répond.

Seul existant, il se change en Univers."



          _ " Oui, bien sûr, il y a quelque chose qui ressemble à ce que dit la Bible, même si ce n'est pas tout à fait la même chose ... "

            _ " Et tu remarqueras que, contrairement à ce que l'on a toujours dit, cette religion " de sauvages " est une religion monothéiste. Tout vient de Taaroa, qui existait avant toute chose et avant tout être. Les autres dieux ne seront que des émanations de Taaroa, en quelque sorte, ils exprimeront les attributs de Taaroa. Ceux qui ont été choqués par la foule apparente des dieux, par les exploits des héros et des géants ont-ils pensé que nous célébrons nous-mêmes les exploits de Josué, (qui arrêta le soleil), de David, (qui tua le géant Goliath avec sa fronde), de Samson, (auquel une femme enleva sa force en lui coupant les cheveux ... Mais il lui en restait suffisamment pour faire s'écrouler sa prison ! ) ... Nous n'avons pas besoin de remonter à la mythologie romaine, ni à la mythologie grecque : La Bible est remplie de merveilles et d'exploits : Qui ouvrit un passage à travers la Mer-Rouge pour toute une armée ? Qui fit jaillir une source en frappant de sa canne sur un rocher ? ... Je continue :

"Taaroa est la clarté.

Il est le germe.

Il est la base.

Il est l'incorruptible.

L'Univers n'est que la coquille de Taaroa.

C'est lui qui le met en mouvement et en fait l'harmonie."



          _ " Bien sûr ... Bien sûr ... C'est une interprétation un peu particulière, mais ce n'est pas plus bête que ce qu'exposent d'autres religions, que nous n'avons jamais appelées des religions de sauvages. Et tu connais beaucoup d'histoires de dieux, de demi-dieux et de géants ? "

                _ " Il y en a une foule. Je suis loin de les connaître toutes. Du reste, personne ne peut prétendre les connaître toutes : Les Polynésiens ne connaissaient pas l'écriture ( Sauf les Pasquans peut-être, mais on ne sais pas déchiffrer les tablettes qu'ils nous ont laissées ...). Ils se transmettaient toutes ces histoires oralement : Des sortes de prêtres étaient chargés de les apprendre par coeur et de les réciter. Lorsque les Européens sont arrivés en Polynésie, beaucoup d'histoires sacrées s'étaient perdues. On n'a pu en sauver que quelques-unes... Mais écoute, par exemple, je vais te raconter l'histoire du déluge.

                _ "L'histoire du Déluge ! Ah ! non, cette fois-ci, tu exagères : Le Déluge, c'est dans la Bible qu'on en raconte l'histoire ... Avec celle de l'arche, de Noé et de la colombe ! "

             _ " Toutes les religions, ou presque, racontent qu'il y a eu un déluge qui a recouvert la terre : Il n'y a pas que la nôtre ! Mais écoute plutôt, l'histoire telle que les Polynésiens la racontent :

           Le dieu Roua Hatou dormait au fond des mers, dans un endroit qui lui était consacré et où personne n'avait donc le droit de se rendre. Un pêcheur commit l'imprudence d'y aller pêcher. Son hameçon s'accrocha, par malchance, aux cheveux du dieu. Le dieu se réveilla. Furieux, il monta à la surface pour voir qui avait eu l'audace de troubler ainsi son sommeil. Quand il vit que le coupable était un homme, il décida aussitôt que toute l'espèce humaine périrait pour cette insulte.

                 Le vent souffla avec fureur. Les eaux s'élevèrent avec une rapidité effroyable. La terre trembla. Des flammes en sortirent de toutes parts. Des masses de rochers, projetées dans les airs, retombaient comme une pluie.


                      Dans l'horreur de pareilles scènes, les hommes coururent, les uns vers les montagnes, les autres vers les lieux sacrés et tout particulièrement vers les marae, pour y implorer la clémence des dieux. Mais tous furent écrasés par les rochers, enveloppés par les vagues, qui les rattrapaient dans leur course ... Ou engloutis dans la terre, qui s'effondra sous leurs pieds.

*(marae : Lieu saint, aménagé pour la célébration des cultes.)



               Ce qui est le plus curieux, c'est que le seul homme qui fut sauvé ... Ce fut le pêcheur qui avait mis le dieu en courroux : Parbleu, il était sur sa pirogue, en plein océan ! Il échappa à la catastrophe et sa famille aussi, qui se trouvait également dans la pirogue. Le dieu lui dit d'aller sur le Toa marama, qui est une montagne très haute ... ( Mais certains disent que le Toa marama était un canot )...


             Alors, les eaux montèrent encore, couvrirent les montagnes les plus élevées, firent périr tous les êtres vivants, à l'exception de ceux qui étaient sur le Toa marama . Ce furent eux qui repeuplèrent la terre quand les eaux furent redescendues. "

             _ " Oui, évidemment, cela ressemble bien à l'histoire du déluge et de Noé ... Encore que ... Je constate qu'ici, il s'agit d'une montée des eaux ; il ne s'agit pas de pluie. Et puis, peut-on croire qu' à bord d'une pirogue, un pêcheur ait pu emmener sa famille et ... un couple de chaque espèce animale? "

               _ " Eh ! Pourquoi ne le croirait-on pas aussi bien que lorsqu'on parle de l'arche de Noé ? "

            _ " Et tu pourrais nous raconter d'autres histoires comme cela ? "

                                  *

                  "Il y en a des quantités ! J'en sais quelques unes. J'ai déjà raconté ailleurs l'histoire de Maui, qui tira la terre du fond des eaux en la pêchant avec sa ligne et un hameçon. Mais il faut ajouter que Maui s'aperçut que les hommes souffraient du trop grand éloignement du soleil. Il constata qu'ils vivaient tristement, plongés dans une obscurité profonde ... Les fruits eux-mêmes ne mûrissaient plus ... Maui arrêta cet astre et régla son cours, de manière à ce que le jour et la nuit fussent de même durée ... "

                    _ " Tu l'as dit : Josué aussi, arrêta le soleil ... Mais ce n'était pas pour la même raison : Il livrait bataille et c'est pour avoir le temps de gagner cette bataille qu'il interrompit la course du soleil vers le couchant pendant un jour entier... Les motivations de Mauï valent bien celles de Josué !"

                  _ " Je pourrais également te raconter une histoire de géant. On en trouve dans la Bible ... Ne serait-ce que lorsqu'il s'agit de Goliath, que vainquit David avec sa fronde ... Mais on en trouve aussi dans presque tous les récits qui font la base des multiples religions : Qu'il s'agisse de la mythologie grecque ou de l'épopée du Ramayana des Bouddhistes ...


           Les Polynésiens, eux, racontent que Rouanoua ( La tête chauve ...) était un monstre si laid qu'il se cachait dans la mer tout au long du jour. Il n'en sortait, pour voir sa femme, qu'au cours des nuits obscures. Il était si grand qu'on lui coupa, sans parvenir à le tuer, plusieurs morceaux de la tête, gros comme des rochers ...

             Fanoura, lui, était d'une si belle taille que sa tête touchait aux nues tandis que ses pieds touchaient au fond de la mer.


                Fatauhi était si grand qu'aucune pirogue ne pouvait le contenir. Quand il voulait voyager sur la mer, il lui fallait des radeaux composés de plusieurs centaines d'arbres.


             "Fanaoura et Fatauhi, allèrent ensemble à Éiva, terre aujourd'hui inconnue, pour combattre le monstre bouaa hai taata ( Le cochon qui dévorait les hommes ... ), la terreur de tous ceux qui approchaient de cette île ... Fatauhi se sauva à son approche, mais Fanaoura lui fit face, l'attaqua, le vainquit. Il s'empara de l'île après avoir tué trois des quatre chefs, des géants comme lui, qui se la partageaient ... Le quatrième ne parvint à s'échapper qu'en se précipitant dans la mer et en se changeant en serpent ..."

               _ " Ah oui, alors là, nous sommes en plein dans les histoires qui racontent les exploits d'Héraclès tuant l'hydre de Lerne, ou celles qui racontent les combats contre les dragons ..."

                _ " Oui, mais nous sommes aussi en plein dans les histoires qui racontent comment Saint-Georges vainquit le démon ..." Il s'agit toujours là de mythologie sacrée. Quel que soit le peuple, En quelqu'endroit qu'il habite, on voit bien qu'il y a pour lui nécessité de vaincre les mêmes craintes, d'expliquer les mêmes phénomènes ..."

                  _ " Trouve-t-on, dans les légendes polynésiennes, quelque chose qui soit l'équivalent de notre Paradis-terrestre ?"




                                *






             "Écoute ... Et tu jugeras toi-même...


                _ " Dans les vallées sacrées de Na Kauvandra, près de l'antre où habitait le dieu Ndengeï, le Kitu, pluvier, construisit un nid et y déposa deux oeufs ...

               Le dieu découvrit le nid. Il admira les oeufs et eut l'idée de les couver lui-même. L'incubation donna naissance à un garçon et à une fille.

              Après les avoir placés sous l'ombrage d'un gigantesque arbre que l'on dénomme vesi, il veilla à ce qu'ils fussent nourris sous sa protection spéciale, pendant cinq ans.

             À cet âge, ils étaient séparés par l'énorme tronc de l'arbre mais le garçon, regardant autour de lui avec curiosité, aperçut bientôt la fille, à laquelle il s'adressa en lui disant :

             _" Le Grand Ndengeï nous a couvés pour que nous peuplions la terre ..."

-" Comme Adam et Éve ! "

                   _" Exactement ! ... Un jour, le dieu commanda à la terre de se couvrir d'ignames, de taros et de bananes, destinés à leur servir de nourriture. Il lui commanda ensuite de produire du feu, pour qu'ils puissent se garantir du froid et cuire leurs aliments ... Ils mangèrent d'abord les bananes crues, comme elles avaient poussé, mais le dieu leur recommanda de commencer par faire cuire les ignames et les taros avant de les manger. Ainsi le premier couple vécut, abrité par le feuillage de l'immense vesi, protégé par le grand dieu Ndengeï, se nourrissant de bananes, d'ignames et de taros, jusqu'à ce qu'ils deviennent complètement adultes. Alors ils devinrent mari et femme et leurs enfants peuplèrent la terre entière...

                       _ "Il y a deux choses que la légende polynésienne ne dit pas :
                         Le premier couple resta-t-il au "paradis" ou en fut-il chassé par la suite ?
                         Pourquoi les hommes sont-ils devenus mortels, puisqu'ils sont les enfants d'un dieu qui, lui, est immortel ? "

                                   *

_"L'homme commit l'imprudence d'aller pêcher dans un endroit consacré à la divinité ... Souviens-toi ...

_" Le vent souffla avec fureur ... Les eaux s'élevèrent avec une rapidité effroyable. La terre trembla, des flammes en sortirent de toutes parts ... Des masses de rochers, projetées dans les airs, retombaient comme une pluie ... "

_" C'est de cette façon que l'homme fut chassé du Paradis ... Mais on ne dit pas qu'il y perdit l'immortalité ... "



                   Quand les fils du premier homme s'occupèrent à enterrer leur père, un dieu se montra à eux et leur demanda ce qu'ils faisaient là. Ils lui répondirent :

_" Notre père est mort et nous l'enterrons. "

_ " Non pas, non pas, dit le dieu. Il ne faut pas enterrer votre père. Il n'est pas mort. Retirez son corps."

_ " Il y a quatre jours qu'il est mort. Il nous faut bien l'enterrer !"

_ " Votre père n'est pas mort. Enlevez son corps ! "


             Alors le dieu se mit en colère. Il dit aux deux fils du premier homme :

_ " Écoutez la parole des dieux : La banane verte est enterrée pendant quatre jours et, quand on la sort de terre, elle est mûre et meilleure qu'avant. Il en eut été de même de votre père si vous aviez enlevé son corps de la terre comme je vous l'ordonnais et, de la sorte, il serait resté en vie, avec vous et vos enfants. Mais vous avez désobéi à mes commandements, les commandements des dieux. C'est pourquoi vous serez tous mortels. Que la mort soit donc avec vous tous : Mort à votre père, mort à vous, ses fils, mort à vos enfants après vous, mort à l'homme et à la femme. Tous, tous, vous mourrez . "


_" C'est toujours pareil : Dieu punit l'homme pour avoir désobéi ... Il n'y a que la nature de la désobéissance qui varie ! "

                                   *

_"Maintenant, si tu veux, je vais te raconter, pour terminer, une autre histoire. Elle donne une autre origine à la mortalité de l'homme :

            _ " Une pirogue des îles Tonga, un jour, en revenant de Viti-Levu, fut entraînée par les vents jusqu'à Boulotou qui, comme chacun sait, est le séjour des dieux.
               Les navigateurs qui montaient cette pirogue, ignorant où ils étaient et manquant de provisions , abordèrent dans cette île en la voyant couverte de toutes sortes de fruits.
                Ils voulurent y cueillir des fruits à pain mais, à leur grand étonnement, ils s'aperçurent qu'ils ne pouvaient pas les toucher : On aurait dit qu'ils n'étaient que des ombres, les doigts ne saisissaient rien du tout ... Les troncs des arbres, de même, n'arrêtaient pas leur marche : Ils passaient au travers comme s' ils n'avaient pas existé. Les murs des maisons, qui étaient pourtant construites comme celles des Tonga, ne leur opposaient aucune résistance ...
             Les dieux leur commandèrent de partir immédiatement en leur disant qu'ils ne pouvaient leur offrir aucune nourriture qui leur convienne. Ils leur promirent des vents favorables et un prompt retour dans leur pays.


                 Ils reprirent donc la mer et, leur pirogue filant à une vitesse prodigieuse, ils gagnèrent en deux jours les Samoa où il leur fallait relâcher. Ils demeurèrent deux jours aux Samoa et retournèrent dans leur île.
               Peu de jours après leur retour chez eux, ils moururent tous, non pas par punition d'être allés à Boulotou, mais par suite naturelle du séjour qu'ils y avaient fait : L'air qu'ils y avaient respiré était mortel pour les hommes.
                 L'histoire ne le dit pas de façon explicite, mais on peut penser que c'est depuis ce temps-là que les hommes sont mortels ...




                 _"Et c'est toujours la même chose : C'est l'homme qui désobéit, volontairement ou involontairement, comme dans l'histoire du pêcheur qui s'était aventuré dans un endroit qui était consacré au dieu ... Et tout comme Adam et Éve ont désobéi, ont mangé le fruit défendu ... Et ont été punis en perdant le Paradis et en perdant l'immortalité. C'est vrai, que l'on retrouve partout les mêmes mythes, les mêmes héros, les mêmes histoires. Tout cela est le fruit de la condition humaine qui, en tout endroit du globe, a besoin de vaincre les mêmes frayeurs et d'expliquer les mêmes phénomènes. 
                 Au fond ... Il n'y a pas de sauvages, nulle part ... D'ailleurs, le mot même a disparu de notre langage ... Et c'est très bien ainsi !"

           _"Ah ! Si on nous avait dit cela plus tôt ... Nous aurions conservé la religion de nos pères et nos anciennes coutumes, tout en servant le même Dieu que vous ... Il ne nous fallait que corriger les abus ... Maintenant, toutes les traditions sont perdues, ou presque ... "


                 _ Ainsi parlait le grand chef de Raïatea ... En l' année 1831 ...

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